Thème ECJS dans le cadre de l’opération « Bougeons avec l’Europe »
L’Europe : une culture unie dans la diversité ?
En introduction :
En complément sur le site de la vie des idées :
La construction européenne à l’aune de la pensée française
par Michaël Foessel
Comment les penseurs français, aujourd’hui, appréhendent-ils la construction européenne ? Justine Lacroix montre comment les diverses représentations de l’Europe problématisent les tensions qui se nouent entre droits de l’homme, démocratie et nation.
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- par Michaël Foessel
L’histoire de l’Europe est indissociablement celle d’une idée et celle d’une institution. À chaque évolution politique du continent correspond un ensemble de représentations normatives : l’Europe chrétienne du Moyen Âge, l’Europe des souverainetés au commencement des Temps modernes, l’Europe cosmopolitique dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Évidemment, le parallèle est loin d’être parfait entre les idéalisations de l’Europe et son évolution historique réelle. De l’abbé de Saint-Pierre à Victor Hugo, c’est le modèle de la coopération qui est mis en avant, alors même que les nationalismes s’imposent sur la scène européenne. Inévitable, ce hiatus pourrait aussi être fécond puisqu’il inscrit l’Europe dans un horizon régulateur : son idée est toujours en excès sur ses réalisations.
Le livre de Justine Lacroix s’interroge sur ce décalage dans le contexte de la pensée française contemporaine. Parce que la construction européenne « déstabilise l’identité nationale, tout en remettant en question les procédés représentatifs ainsi que les modalités de solidarité sociale » (p. 18), elle ne peut laisser indifférentes des pensées soucieuses d’interroger le politique depuis le réel des institutions. Pourtant, l’affect dominant en la matière semble être le malaise, les philosophes français d’aujourd’hui affichant plus de scepticisme que d’adhésion militante ou de critique argumentée. À l’origine de cette méfiance, on trouve peut-être la figure de Raymond Aron, dont l’enthousiasme proeuropéen laissa rapidement la place à la perplexité. L’auteur cite ce jugement d’Aron du début des années 1970 : « il n’existe pas de citoyens européens. Il n’y a que des citoyens allemands, français ou italiens ».
La phrase s’inspire des critiques adressées par Burke et Marx aux droits de l’homme. Justine Lacroix montre parfaitement que la réception française de la construction européenne est indissociable du procès en abstraction intenté à des droits que l’on juge inhérents à la nature humaine. C’est pourquoi, comme le suggère très pertinemment l’auteur, l’origine de cette histoire théorique se trouve dans l’œuvre de Claude Lefort, et dans sa réhabilitation post-marxiste des droits de l’homme au nom de l’indétermination démocratique. La construction communautaire est essentiellement juridique au sens où elle met au jour un nouveau type de légitimité qui ne se borne plus au cadre de l’État-nation. Tout se passe comme si le potentiel dépolitisant et/ou radical des droits de l’homme se vérifiait expérimentalement sur l’exemple européen.
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