le vote Obama



Pour compléter le thème de sciences politiques sur les élections européennes : le vote Obama un vote "racial" ?


Avant les élections le journal Monde avait envoyé un journaliste dans la banlieue de Columbus :

"Ils sont cinq ce matin. Cinq grands gaillards aux larges épaules et aux mains calleuses. Tous pères de famille, issus de la petite classe moyenne blanche américaine et membres du puissant syndicat des chauffeurs routiers Teamsters aux 1,4 million d'adhérents. Debout sur ce vaste parking encore gelé d'un des centres postaux de la société UPS installé dans la banlieue ouest de Columbus, ils distribuent des tracts en faveur du démocrate Barack Obama, soutenu par le syndicat depuis février. Les réactions sont mitigées. Plus de la moitié des chauffeurs acceptent le papier tendu. Certains détournent la tête. "Pourquoi devrais-je voter pour lui ?", grogne un employé.

De retour au siège du syndicat, celui que l'on appellera Steve - comme ses quatre collègues, il ne veut s'exprimer que sous couvert de l'anonymat -, admet que "cet incident n'est pas le premier". Ce militant de 41 ans affirme avoir été souvent confronté à un dilemme compliqué : comment persuader des travailleurs syndiqués de voter en fonction des questions qui concernent leur métier, leur avenir, alors que beaucoup semblent se focaliser sur des sujets qui lui paraissent "secondaires" comme le droit de porter des armes à feu, l'avortement et, surtout, la couleur de peau.

"Chez nous, ceux qui votent pour le candidat républicain paraissent comme hermétiques aux questions de salaires, de retraite ou de représentation syndicale dans les entreprises, souligne Jared, 43 ans. Non, c'est bien autre chose qui les motive." Ted, 50 ans, se souvient d'un coup de fil au lendemain du premier débat télévisé entre les deux prétendants à la Maison Blanche. Son interlocuteur lui avait soufflé que la candidature de M. Obama "faisait sens", mais qu'il lui était "simplement impossible de voter pour lui".

En choeur, les cinq syndicalistes admettent que l'économie est devenue le sujet principal des préoccupations, profitant indéniablement au sénateur de l'Illinois. "Nous avons perdu 240 000 emplois rien qu'ici dans l'Ohio depuis l'arrivée de Bush au pouvoir, insiste Chet, 56 ans, dont trente-trois dédiés au syndicat. C'est un argument de poids qui touche un nombre croissant de personnes. Toutefois, je n'oublie pas ce chauffeur qui m'a répondu un jour, au cours d'un de mes appels pour la campagne, qu'il ne voulait pas entendre parler de ce "nègre" !"

Le facteur racial est-il toujours présent ? Steve, un peu gêné, concède que les opérations de porte-à-porte semblent bien le montrer. Et de raconter que certains électeurs "n'expriment pas leur rejet du candidat africain-américain de façon explicite". "Ils utilisent, dit-il, des mots codés pour parler d'Obama. Par exemple : "il n'est pas comme nous" ou encore "je n'ai pas confiance en lui parce que je ne le connais pas"." Autant de façons, selon Steve, de masquer un racisme latent.


Cela posait la question de l'effet Bradley pendant la question que Bernard Hamburger Harcourt dans mon journal de campagne (blog sur le site de l'express) expliquait avant la fin de la campagne :

"Avec les deux débats dans le rétroviseur et juste un mois de campagne électorale devant nous, la question de « l’effet Bradley » commence a se poser de plus en plus. Barack Obama saute par bonds dans les sondages, mais peut-on se fier aux sondages quand un des candidats est African-American ?

L’effet dit « Bradley » date de la défaite électorale en 1982 du candidat Tom Bradley dans la course pour gouverneur de Californie. Bradley, le premier maire African-American de Los Angeles, était bien à l’avance dans les sondages professionnels – même dans les « exit polls » le jour de l’élection. Pourtant, il perd contre le candidat Républicain, un blanc, George Deukmejian. Sept ans plus tard, en 1989, deux élections étroits de candidats African-American semblent confirmer l’effet – celui de David Dinkins, étroitement élu maire de New York bien qu’il avait une grosse marge dans les sondages, et de même celle de Douglas Wilder élu gouverneur de Virginie. "

Comment expliquez cet effet :

"Il semble que les électeurs américains votent d’une manière assez différente qu’ils ne sondent – du moins, quand un des candidats est en partie d’origine Africaine. Pourquoi ? Pas besoin d’être un génie pour imaginer la réponse. Certainement, ce phénomène doit avoir à sa source un élément raciste – subtile, peut-être, mais raciste tout de même. Probablement une hésitation, une peur de répondre honnêtement aux sondages. De devoir s’expliquer. De devoir se penser autre que l’on aimerait. Peut-être un racisme presque inconscient – ce qu’on appelle aux USA « implicit bias »

Bien évidemment :

"Les partisans d’Obama ont peur que cet "effet" puisse éliminer jusqu'à 6% des voix le jour de l’élection – et, étant donné le fait que quelques sondages ne donnent aujourd'hui la victoire a Obama qu'avec une marge de 6%, cet "effet "pourrait, si cette prédiction se réalisait, être décisif. Mon collègue Michael Dawson, politologue à l’Université de Chicago, y croit : "I'm one of those who believe the Bradley effect is alive and well," maintient-il. "L’effet "a peut-être diminué depuis quelque temps, mais n’a pas disparu, explique-t-il au Washington Post."
ces prévisions pessimistes étaient elles crédibles :
Daniel Hopkins, post-doc à Harvard, a fait part d'une nouvelle étude qui semble indiquer que l’effet Bradley se dissipe depuis 1996. Vous pouvez télécharger et lire son étude ici. Hopkins a étudié 133 élections de 1989 à 2006. Il a constaté un effet Bradley d’en moyenne 3% pour les candidats African-Americans de 1989 à 1996. Par contre, après 1996, l’effet disparaît et est remplacé par un « reverse Bradley Effect » de 3%. En d’autre mots, depuis 1996, les candidats African-Americans ont excédé leurs sondages de 3%.
L'explication qu’il propose est la suivante: avant 1996, les contestations politiques étaient plus « racialisées ». Les grandes questions sociales et politiques se centraient sur les clivages ethniques, par exemple le crime ou le « welfare ». Ces grandes questions sont moins à la surface, et donc les élections sont moins axées sur ces sujets

pour lire l'intégralité de l'article : Obama & L'Effet Bradley - Mon journal de campagne - Lexpress


sur le site de Télérama : les résultats ont démontré que l'effet Bradley n'a pas joué :


Mais les résultats sont pourtant très inégaux dans le sud des Etats-Unis en fonction de l'appartenance ethnique : dans un article de libération intitulé : Les Sudistes votent plus blanc, Jean-François Lisée ancien correspondant aux Etats-Unis, directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’université de Montréal écrit :

"Seulement 43 % des Américains blancs ont voté pour le nouveau président, contre 95 % des Américains noirs.

C'est peu? Je vous laisse juge. Disons d'abord que la majorité des blancs vote traditionnellement pour les républicains. «Voilà le Sud perdu pour une génération», avait déclaré le président démocrate texan Lyndon B. Johnson, le jour où il a signé la loi-phare garantissant aux Noirs leurs droits civiques, notamment ce droit effectif de voter que les autorités blanches du Sud tentaient par mille moyens de leur retirer. Johnson savait que les blancs conservateurs du Sud, massivement démocrates jusque-là, se sentiraient trahis et se tourneraient vers les républicains. Il avait raison, mais avait mal jugé l'ampleur du mal. Il y a maintenant deux générations que la majorité blanche sudiste tourne le dos aux démocrates.

dans le Sud les anciens états confédérés :

"Le paysage y est plus contrasté. En descendant la côte est, Obama a triomphé en Virginie, siège de la capitale des anciens États sécessionnistes. Il y a augmenté de 7 % le vote blanc démocrate, le portant à 39 %. Mais cela est surtout dû aux professionnels qui peuplent la banlieue sud de Washington. On voit mieux le comportement des «vrais Virginiens», comme les avait diplomatiquement désignés Sarah Palin, lorsque l'on observe la Virginie occidentale, non polluée par les Yuppies de Washington. Le vote blanc pro-Kerry était en 2004 de 42 %, celui d'Obama de 41 %. Rien de grave. (..)
Mais vers le «Sud profond», en Alabama, la position d'Obama se dégrade. Il perd dix points par rapport à Kerry. Le vote démocrate blanc, déjà malingre à 19 %, chute à 10 %. Une misère. Au Mississippi, l'affaissement est moins cruel, mais il choit aussi, passant de 13 à 10 %. En Arkansas, il perd six points, à 30 %. En Louisiane, finalement, c'est la chute libre. Kerry avait eu 24 %, Obama n'a que 14, dans cet État pourtant abandonné par les républicains avant, pendant et après l'ouragan Katrina.

(..)Le mur du refus circonscrit un Sud conservateur -- Alabama, Mississippi, Arkansas, Louisiane -- dans lequel Obama avait la double tare d'être démocrate et noir. On ne le lui a pas pardonné. Cela illustre combien sa victoire n'est pas partout en Amérique le début de la fin du racisme, mais, dans ces quatre États, pas même la fin du début.

Le contraste est d'ailleurs frappant avec l'attitude des habitants du Midwest, le coeur du pays, loin des côtes, de ses dépravations et de ses dérives, peuplé plutôt de ces «small towns hard-working Americans» dont McCain et Palin ont chanté les louanges et se sont fait les représentants. Que l'on juge des progrès d'Obama dans le vote blanc: Minnesota (+3), Idaho, Dakota du Sud, Wisconsin (+4), Kansas, Montana, Nebraska (+6), Utah, Dakota du Nord, Wyoming (+7), la palme revenant à l'Indiana (+11).

C'est là, plus que dans le Nord-Est ou sur la côte ouest où Obama a dominé, que deux questions des sondages de sortie des urnes ont éloquemment parlé. Ils ont indiqué que parmi ceux qui croyaient importante la question de la couleur de la peau d'Obama, ce facteur les a plutôt portés à voter pour lui. Et parmi ceux qui ne voyaient pas dans l'élection d'enjeu racial, il a également tiré les votes vers lui. Bref, au total et malgré l'aversion provoquée dans le vieux sud, la question raciale a joué plutôt pour lui et non contre lui.

Même dans l'Amérique religieuse, Obama a attiré les ouailles, peut-être à cause du caractère un peu messianique de sa personne, de la qualité de son éloquence aux cadences de preacher ou parce qu'une publicité électorale républicaine l'a ironiquement comparé à Moïse ouvrant la mer Rouge. Bref, il a non seulement tiré vers lui davantage d'évangélistes blancs que Kerry (+3 %), de catholiques blancs (+4 %) et de juifs (+4 %). Mais a réussi le tour de force d'accumuler davantage de fidèles qui vont à l'église chaque semaine (+8 %) et davantage d'infidèles qui n'y mettent jamais les pieds (+5 %).


sur le site de télérama :


“Le style Obama : un ton de pasteur, mâtiné de rythm’n’blues”





L’américaniste Sylvie Laurent, auteur d'“Homérique Amérique” (éd. Seuil), décortique la langue d’Obama.







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